Jusqu’au 13 avril
Galerie Florence Loewy
9, rue de Thorigny, Paris
Avec Joan Ayrton, Florian Béru, Alexandra Pellissier, Didier Rittener, Batia Suter
"Le personnage à la redingote, vu de dos, contemplant l’immensité du paysage, a disparu, emportant avec lui toute trame éventuelle de narration. Le spectateur peut se projeter à sa place, confronté au paysage devenu autonome. Cette exposition réunit plusieurs artistes autour de la question de la re - présentation du paysage dans ses transcriptions contemporaines. Face à un monde qui change et qui s’abîme, les oeuvres présentées interrogent l’image, sa manipulation et ses déplacements. Elles s’exposent aux enjeux de la technique et aux jeux du hasard.
Didier Rittener travaille et détourne des trames préexistantes empruntées à l’histoire de l’art et de la représentation pour les inscrire dans une dynamique actuelle : perte de repères et effacement de l’individu. Il applique à ces images un procédé chimique de transfert, constituant des séries de pièces uniques, chaque image portant les traces de ses multiples duplications. Le transfert tout d’abord technique est également mental et conceptuel. Entre apparition et disparition, ces mondes dépeuplés créent chez le spectateur un trouble causé par l’impression de « déjà vu » où l’absence, confrontée à la réminiscence des formes, se traduit en présences persistantes.
Entropie du paysage. L’artiste Florian Bézu soumet le paysage de carte postale aux affres des procédés chimiques, trempant les images dans l’eau de javel. Sur le papier cartonné apparaissent une multitude de cristaux microscopiques. D’un point de vue géologique, la cristallisation n’est autre que ce phénomène naturel qui fait passer le paysage du désordre liquide à l’ordre compact. Cette collision des matières a pour résultat étonnant de nous donner à voir tout à la fois l’origine du paysage et sa disparition. Rongé par l’acidité du produit industriel, ce paysage en formation peut basculer à tout moment, jusqu’à l’effondrement en poussières résiduelles.
Batia Suter développe également une réflexion sur l’utilisation d’images empruntées à notre environnement visuel. Leur attribuant le statut d’archives, elle les collectionne, les retouche parfois et les reproduit en les associant selon des critères formels, fonctionnels, iconographiques, etc. En confrontant en diptyque deux grands tirages de paysages, elle relie deux horizons distincts sur une même ligne, dé-focalisant le point de fuite, questionnant l’artificialité du paysage naturel et plus largement le sens de la vérité, de la fiction et du mensonge de l’image.
Terres de feu, terres de glace. L’Islande offre des paysages étonnants de collision et de fusion entre différents écosystèmes. Joan Ayrton traduit ces contradictions dialectiques à travers des diptyques associant des photographies noir et blanc grand format et des papiers marbrés. Issus d’une tradition artisanale locale de la reliure découlant d’une longue culture littéraire islandaise, ces « marbled papers » semblent tout imprégnés du paysage. Les effets moirés obtenus à partir du télescopage de couleurs sont ponctués de nimbes : ces cercles blancs et scintillants détourant chaque goutte d’encre. L’ensemble crée des formes aléatoires, pourtant étrangement similaires à celles que nous donnent à voir les photographies de l’artiste. Cette rencontre fortuite entre le paysage naturel photographié et les papiers peints par l’homme dévoile des rapprochements formels et plastiques. Émanant de la nature, le matériau papier en traduit la beauté palpable, éphémère et fragile. De la même manière que les paésines sont des « pierres à images », ils se révèlent être des « papiers à paysages » et autant d’impressions psycho- géographiques. Entre vision macro et microscopiques, les méandres du papier sont tout à la fois un détail tranché dans la roche et une dilatation de l’angle de vue à la manière d’un panorama : l’espace est ouvert et prend de la profondeur. Curieuse de ces analogies entre le paysage et les hasards de la technique, Joan Ayrton réalise des peintures uniques, à la laque, laissant la matière réagir sur de petites plaques de métal. Le format exigu ne restreint en aucun cas l’étendue possible du paysage évoqué, les couleurs aux reflets changeants offrant autant de méandres que d’interprétations possibles : des plis de la roche aux lames d’écume.
Alexandra Pellissier travaille à partir d’images de fonds marins reconstituées par le biais technique d’un logiciel d’ondes sonores à hautes fréquences émises dans des faisceaux. Elle transpose alors ces paysages immergés, à l’état du dessin pur, réalisé en nuances claires - obscures de couches de graphites. De ces paysages silencieux mis à jour émane un calme diffus, au réalisme si précis que la vision semble floutée par la densité de l’eau. Lorsqu’il ne reste plus aucun élément de vie et que l’on a perdu tout point de repère dans le paysage, Alexandra Pellissier domestique le vide, créant à partir d’un assemblage de matériaux naturels une architecture à l’échelle incertaine et à la raison d’être indéterminée. Pourtant la précision du dessin, la rigueur du trait, l’imbrication des formes et des volumes restitue les détails de la matière avec une maîtrise hyperréaliste. À nouveau, on se perd dans la matière même du paysage : les nervures, les plis et les coupes du bois.
Une version contemporaine de la dramaturgie du paysage où l’on s’étonne de ne pas s’y plaindre de l’absence de l’homme."