Programme 2016-2017
Depuis sa création, le programme de recherche « Document et art contemporain » met l’accent sur un champ d’enquête chaque année différent : après « document performatif », « film papier », « scriptologie », « glissement méthodologique », et la mise en place d’un « observatoire de la rumeur », il se penche désormais sur le concept même du « paysage », explorant les liens entre paysages géologiques et politiques. C’est sur ce dernier axe que sont menées les recherches du nouveau cycle de trois ans, mettant l’accent cette année sur « la figure du barrage ». Appréhendé de façon large, sous ses aspects physiques autant que métaphoriques (politiques, philosophiques, psychanalytiques…), aussi bien comme dispositif transformateur du paysage qu’en termes de ses conséquences environnementales souvent dramatiques, le barrage est ici avant tout abordé par le contact, l’expérience, la pratique. Source d’énergie et figure de résistance, mais au prix d’engloutissements (de peuples, d’histoires, de faune et de flore), de rétention (d’eau, de pensée, d’information) et d’inévitables fractures, le barrage empêche, mais également détourne, institue et destitue ; autant il permet l’accumulation de forces, autant il interrompt les flux ; accumulateur d’énergies pour les uns, entrave aux flux différentiels pour les autres, le barrage divise ; il représente à ce titre la capture dans la concrétude bâtie d’une figure de l’agir qu’il nous reste encore à définir. En somme, le barrage reste une construction ambiguë, source de conflits dont les enjeux sont des plus contemporains : l’eau, l’énergie, l’écosystème.
En 2016-17, le troisième cycle est constitué de cinq doctorants : Aline Benchemhoun (artiste), Hugo Bregeau (artiste), Louise Deltrieux (artiste), Asli Seven (curatrice) et Elisa Strinna (artiste), et un groupe d’artistes et de théoriciens référents : Stephen Wright (théoricien), Andréas Maria Fohr (artiste), Virginie Yassef (artiste), Ferenc Grof (artiste), Arnaud Deshayes (artiste) et Anabella Tournon (théoricienne). Fondé par Érik Bullot (cinéaste), le programme est actuellement dirigé par Joan Ayrton (artiste). Cette année, la chercheuse invitée du programme est Mabel Tapia, coordinatrice du réseau Red Conceptualismos del Sur, plateforme de réflexion et d’action réunissant artistes et chercheurs d’Amérique latine sur les relations contemporaines entre art et politique.
L’année 2016-2017 est structurée autour de trois voyages d’études, rythmée par trois séminaires dans les écoles partenaires et un séjour d’étude d’une semaine au Centre International d’Art et du Paysage de l’île de Vassivière.
Lors du premier voyage ayant eu lieu en octobre 2016 en Suisse, il s’est agi d’appréhender physiquement le barrage et ses dimensions écosophiques. Une série de rencontres étaient prévues durant quatre jours, avec, dans l’ordre : l’artiste historien et éditeur Stefan Banz, fondateur de la KMD – Kunsthalle Marcel Duchamp. Victor Lopes, restaurateur du retable de Konrad Witz au Musée d’Art et d’Histoire de Genève. Alexandre Gillet, géographe et auteur, spécialiste de l’oeuvre d’Elisée Reclus, avec la visite de l’institut cartographique de l’Université de Genève ainsi que des archives de moulages de montagnes au Musée d’Histoire Naturelle de Genève. Les visites de deux expositions d’art contemporain, Objects in mirror might be closer than they appear de Julian Charrière et Julius Von Bismarck à la Villa Bernsasconi à Genève et The forces behind the forms, earth’s history, matter, process in contemporary art au Kunstmuseum de Thun. Celles de deux barrages dans les Alpes valaisannes : la Grande Dixence et Mauvoisin. La visite de l’œuvre de Michael Heizer au pied du barrage Mauvoisin Tangential Circular Negative Line (2012), avec une conférence de Gilles A Tiberghien, philosophe et essayiste, professeur à l’Université Paris 1, notre invité durant ce premier voyage d’étude. Enfin, la visite de la Villa Le Lac de Le Corbusier à Vevey.
En février 2017 a eu lieu une semaine de résidence au Centre International d’Art et du Paysage de Vassivière. Le programme était composé des visites de l’exposition de l’artiste François Bouillon et du parc de sculptures qui s’étend sur l’île. De séances de travail autour des projets individuels de chaque jeune chercheur. De la visite du Musée de la résistance de Payrat-le-Chêateau et d’une marche de 17 km sur le Mont Gargan. Nous avons accueilli durant deux jours de cette semaine quatre jeunes étudiant.e.s de second cycle des deux écoles partenaires à venir nous rejoindre en séminaire.
En mai 2017 aura lieu un deuxième voyage d’étude à Budapest, sur une proposition de Ferenc Gróf, artiste et référant du Troisième cycle. L’histoire contemporaine de la Hongrie s’articule autour plusieurs phénomènes de barrages : A la frontière de l’Europe de l’Ouest et de l’Est, sous tensions économico-politiques et militaires, subissant de profonds traumatismes historiques, ce pays d’Europe centrale est sous le contrôle "illibéral" du gouvernement de Viktor Orbán depuis 2010. En 1989, lorsque la Hongrie ouvrit sa frontière avec l’Autriche, les citoyens purent sortir sans visa, une "ouverture légale" qui provoqua dès le 2 mai 1989 le démantèlement physique du rideau de fer à la frontière austro-hongroise. Ce démantèlement suivait un conflit politico-écologique majeur des années 80 entre la Hongrie et la Tchécoslovaquie autour du barrage de Gabčíkovo-Nagymaros. En effet, les deux pays avaient signé en 1977 un traité bilatéral prévoyant la construction sur le Danube d’un système d’écluses et d’une centrale hydroélectrique. Or les conséquences environnementales de cet immense chantier ayant été sous-estimées, des protestations de militants écologistes s’élevèrent durant les années 80 de part et d’autre du fleuve frontalier pour stopper les travaux. Après la chute du gouvernement communiste en 1989, la Hongrie suspendit le projet, invoquant les motifs écologiques, puis, en 1992, dénonça le traité. Bien que conscient des dégâts sur l’environnement, le gouvernement slovaque poursuivit de son côté les travaux de construction menant au détournement du Danube. Enfin, au Sud de la Hongrie ont été construits à partir de 2015 une clôture renforcée et une barrière frontalière afin d’empêcher l’immigration illégale venant du Sud. Un autre barrage de la Hongrie xénophobe et le résultat de la politique ethniciste du gouvernement Orbán. Ce barrage constitue une partie importante du rideau de fer de l’Union Européenne. Lors de ce voyage d’étude, nous rencontrerons des intellectuels, des artistes et des organisations culturelles majeures qui tous font barrage à la politique d’Orbán.
Nous prévoyons également des rencontres à l’Université des Beaux-Arts de Budapest, un moment d’échanges avec les professeurs et étudiants du programme de troisième cycle DLA (Doctor of Liberal Arts) ainsi que les professeurs et étudiants du département intermedia, sculpture et estampes. Nous entrerons en contact avec Zoltán Szegedy-Maszák et János Szoboszlai, correspondants aux Beaux-arts de Budapest.
En Septembre aura lieu un troisième voyage d’étude de 11 jours en Argentine, un voyage pensé comme la consécration et l’aboutissement d’une année de recherche. Mabel Tapia en sera la coordinatrice et propose d’opérer le "déplacement" conceptuel du barrage au "faire barrage". Ce voyage se concentrera davantage sur le paysage social compris comme espace “agonistique”, en continuelle reconfiguration. Quelques considérations rédigées par Mabel Tapia en vue de la préparation du voyage : La ville de Buenos Aires naît au bord du Rio de La Plata, estuaire résultant du Río Parana et du Río Uruguay. Au fil du temps, la ville grandit en tournant le dos au fleuve, les Porteños abandonnant les diverses activités qui lui étaient liées. L’ancien port désormais désinvesti devient, pendant les années 1990, l’icône de certains processus de gentrification. Néanmoins, tout récemment, une série des propositions artistiques revient sur cette histoire, le collectif Oficina proyectista a notamment réalisé une recherche sur la dernière plage existante encore dans les années 1960 à Buenos Aires, « Puerto Piojo », territoire jouxtant aujourd’hui un vaste "pôle pétrochimique". Une expédition dirigée par le collectif à Puerto Piojo est prévue lors du voyage.
Il sera aussi question de revenir sur l’histoire des "escraches” — des actions symboliques visant à signaler publiquement la présence des tortionnaires de la dictature militaire restés impunis du fait des lois d’amnistie. L’organisation des ’’escraches’’, H.I.J.O.S. (Hijos por la Identidad y la Justicia contra el Olvido y el Silencio - Enfants pour l’Identité et la Justice contre l’Oubli et le Silence) cherche à provoquer une condamnation sociale là où la condamnation légale n’a pas eu lieu. Ces actions ont pour but de dénoncer la normalisation d’une situation, en œuvrant pour positionner le débat dans la sphère publique et tenter ainsi, de créer un sentiment de honte sociale. Les premiers escraches consistent à faire irruption dans un lieu public, un café ou un lieu de travail où un tortionnaire se trouve et à dénoncer publiquement, avec des panneaux et de chants, son implication et sa responsabilité dans les crimes commis pendant la dictature.
Par ailleurs, en plus des séminaires Courant du mois de juin à Paris :
- Deux journées d’étude avec un(e) invité(e). Les contenus exacts et le lieu seront à définir.
- journée de sélection des projets de DSRA des jeunes chercheurs entrés dans le programme au mois de septembre 2016. Constitution d’une commission avec les référents du programme ainsi qu’un membre extérieur invité. Chaque jeune chercheur soutient son projet qui, une fois validé, lui permet de poursuivre le programme durant les deux prochaines années.
Partenaires et intervenants (sous réserve) pour le cycle de trois ans commencé en octobre 2016 : Gilles A. Tiberghien, philosophe (Paris) ; Rebecca Baron, cinéaste (Los Angeles) ; Arne De Boever, responsable du programme MA Æsthetics and Politics, CalArts ; Sophie Wahnich, historienne (Paris) ; Catherine Malabou, philosophe, Université de Kingston (Royaume-Uni) ; Brian Holmes, auteur et activiste (Chicago) ; Center for Land Use Interpretation (Los Angeles) ; Susan Schuppli, artiste (Canada) ; Nicolas Kramar, géologue (Suisse) ; iconoclastistas, cartographes et artistes (Buenos Aires) ; Roberto Jacobi, artiste (Buenos Aires) ; Ana Longoni, historienne de l’art (Buenos Aires).