Rencontres de la jeune photographie internationale
Rencontres de la jeune photographie « internationale »
du 7 mars au 26 mai 2018
Villa Pérochon, Niort
Participation de deux étudiants de l’ÉESI, Eve Martin et Jérémie Pengam.
Résister aux flux
Depuis plusieurs années la photographie s’est transformée, l’arrivée du numérique l’a bouleversée et a changé son usage. Le geste photographique est devenu aussi banal que de se gratter l’oreille comme s’amuse à nous dire Joan Fontcuberta dans son livre "Le boîtier de Pandore".
On prend tous des photographies. Dès que l’on s’amuse, que l’on rit, que l’on s’ennuie, pour se souvenir, pour montrer, pour exister. Ces photographies forment un flux continu et incessant. Invisibles, pourtant stockées un peu partout et nulle part à la fois, vaguement regardées, éventuellement partagées puis souvent abandonnées ou perdues.
Nous sommes des vagabonds du souvenir, voguant sur les écrans d’un glissement de doigt.
Que faisons-nous de tout cela ? Qu’en restera-t’il ?
Où iront fouiller nos enfants pour retrouver des images de notre jeunesse ?
Est-ce que Facebook et Instagram remplaceront la malle d’albums photos qui traînent au grenier ?
J’ai demandé à des jeunes de Niort de me donner des photos numériques qu’ils ont réalisées avec leur smartphone, ordinateur ou appareil photo. Je voulais faire l’expérience de « transiter » ces images. Les préserver de l’obsolescence de leur support numérique en les capturant de nouveau mais sur film diapositive. Créer ainsi une capsule temporelle qui sera archivée dans le fond de la Villa Pérochon. Comme le témoignage d’une époque, à travers la vision d’une génération qui est actrice de la mutation qu’est en train de vivre la photographie.
En parallèle je voulais les initier à la photographie argentique et tenter de leurs transmettre la pratique, comme geste d’opposition à son extinction possible.
J’ai engagé ce projet avec Gabi, Sasha et Matys.
L’échange était au centre de mes préoccupations, créer une passerelle entre l’argentique et le numérique. C’est deux pratiques sont encore en contact aujourd’hui mais jusqu’à quand ? Est-ce une transition ou une coupure radicale ?
Tacita Dean raconte : « Il y a peu je me trouvais dans une salle de réunion avec Annie Chaloyard de Kodak Industrie, à Chalon-sur-Saône, et je lui demandais pourquoi Kodak capitulait si vite et si complètement devant le monstre dévorant du numérique, pourquoi ils avaient arrêté la production de film. Avec tristesse elle me répondit que personne n’avait plus l’air de faire la différence : la génération contemporaine du numérique bientôt n’aura jamais vu de film celluloïd, ni connu le négatif photo. Il en a toujours été ainsi : une génération suffit pour oublier. »
Je ne suis pas d’accord et je souhaite faire mon possible pour empêcher la disparition du support argentique et autres inventions à l’origine de nos images. Ou plutôt tout faire pour en garder la mémoire.
C’est pourquoi j’ai choisi d’utiliser la projection de diapositive, qui nous rappelle la lanterne magique, système primitif de monstration des images utilisé pendant des années pour divertir et instruire l’Homme.
Bien sur, comme le reste, la diapositive peine à résister à l’avènement du numérique. Le développement des films est devenu un service rare, il est de plus en plus dur de trouver un laboratoire qui en propose encore. Pour ce faire, il fallait que j’envoie mes films à Paris au plus vite. J’avais donc peu de temps pour récolter les photos dont j’avais besoin. Il fallait que je vois plus grand. Il me parut logique de me servir de ce qui nous connecte tous, les réseaux sociaux. Ainsi, j’ai demandé à mes compatriotes, enfant du numérique, leurs images. Celles qu’ils voulaient, provenant de leurs smartphones, ordinateurs et appareils photos. Ils avaient pour information que c’était pour un projet artistique et que ça parlait d’eux, de nous. Quelques heures plus tard j’ai reçu des vagues d’images, anonymes et insensés.
Une assiette de frites renversé, une figure de skate, des gens qui dansent, des captures d’écrans...
Qu’est ce que sont ces images ? Peut-être que Fontcuberta à raison et qu’il ne s’agit plus dans ces photographie de faire des "documents", comme c’était le cas avant, mais des "divertissements", tel des souffles de vie et d’affirmation de soi.