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Compte rendu du voyage à Londres, du 10 au 13 avril

En aval de l’exposition collective « Glissements de terrain » en février, et en amont des journées d’études consacrées aux « Glissements méthodologiques » prévues en juin, le voyage d’études à Londres était pensé pour accompagner ce passage d’une investigation du paysage géophysique, et des métaphores qui s’y associent, vers une recherche axée davantage sur les glissements à l’oeuvre dans le champ des savoirs, leur transmission, leur archivage et leur activation.

Jeudi 10 avril

Le groupe s’est d’abord rendu au très insolite Sir John Soane Museum, la maison particulière de l’architecte visionnaire de la fin du XVIIIe siècle, John Soane. Conforme à la volonté de celui-ci, la maison se visite depuis sa mort comme une oeuvre d’art totale, remplie de curiosités architecturales : bas-reliefs, sur-reliefs, frises, moulures, tous récupérés des architectures antiques, puis insérés dans la maison, créant des strates de sens et des confusions stylistiques. Si lieu ressemble à un cabinet de curiosités, sa configuration obéissait à l’origine à un besoin pédagogique : de son vivant, Soane y recevait ses étudiants en architecture, s’appuyant sur des éléments d’architecture comme des documents de styles architecturaux à l’échelle 1:1. Comme ces éléments n’ont de sens qu’en relation avec les mondes historiques auxquels ils appartenaient, on ne peut qu’éprouver un sentiment de glissement entre paysages ontologiques. Un grand tableau met en abîme des peintures des bâtiments qu’il avait construits à côté de ceux qu’il rêvait de construire : en bas à droite, on voit l’artiste, lui-même, tel un espion, dessinant le tout… Scénographie des documents à l’échelle 1:1, pédagogie autogérée, taxinomies hétérodoxes : le ton est donné pour les jours à venir.

Dans l’après-midi, visite au Warburg Institute qui accueille les archives photographiques et bibliothèque ayant appartenu à l’historien de l’art excentrique Aby Warburg. L’organisation de cette bibliothèque ne ressemble à celle d’aucune autre : faisant fi des principes “scientifiques”, les ouvrages sont organisés selon un principe de bon voisinage — c’est-à-dire que l’ouvrage qu’on cherche (sans le savoir) se trouve à côté de celui qu’on pensait chercher… Le groupe est reçu par le conservateur en chef des archives photographiques, Dr. Paul Taylor, qui improvise, documents à l’appui, une conférence passionnante et très précise, sur l’histoire de l’iconographie et le passage à l’iconologie. Taylor sera par la suite invité à contribuer une version plus détaillée de son intervention aux Cahiers du post-diplôme 4. L’Institut se montre très ouvert à l’accueil des stagiaires de l’EESI à l’avenir.

Vendredi 11 avril

Le groupe se donne rendez-vous à l’Institute for Contemporary Art (ICA), d’abord pour visiter l’exposition sur l’histoire des livres d’artistes “I am completely invisible”, puis l’importante rétrospective de l’artiste Hito Steyrl, dont le travail nous semble emblématiques — par son usage des documents, et surtout son glissement progressif, et de plus en plus affirmé, de la projection autonome des films vers leur activation par la prise de parole et la narration.

En fin d’après-midi, le groupe a rendez-vous dans l’est de Londres avec les “associés” de l’école d’art autogérée Open School East (OSE) : il s’agit d’une sorte de “post-diplôme” (même si aucun diplôme n’est requis, ni attribué) dont la pédagogie est déterminée par les seuls participants. Lors d’un échange convivial, suivi d’un dîner offert par l’OSE, nos deux groupes présentent leurs recherches respectives et échangent points de vue sur la recherche en art à partir des expériences très contrastées.

Samedi 12 avril

Ces réflexions sur les méthodologies de recherche en art se poursuivent en se transformant en pratique samedi lors de la longue déambulation (20 km) proposée par les chercheurs de Critical Practice Chelsea, un groupe de doctorants et enseignants de l’école d’art Chelsea à Londres. Persuadé que la cartographie se fait à pied — et que la marche est une démarche artistique à part entière — le groupe organise régulièrement des découvertes à pied des quartiers de Londres en pleine transformation. Cette fois, le glissement pédestre consiste à suivre le bord de la Tamise jusqu’à l’extrême est de la ville, du nouveau quartier financier construit sur les anciens docklands, passant par le Musée de Greenwich — le point dans l’espace à partir duquel le temps est fixe. La découverte du paysage urbain, les transformations de populations et d’usages qu’il subit — qui, pour être urbains, semblent parfaitement volcaniques —, se fait progressivement, corporellement.

Dimanche 13 avril

Le boucle se boucle avec une dernière visite dimanche après-midi à la Maison Sigmund Freud, où le psychanalyste a passé ses dernières années. Le lieu n’est pas sans faire penser à la maison de Soane, surtout que Freud insistait souvent sur l’architecture de l’inconscient, soulevant à travers ses collections d’artefacts la question de sa documentation, voire de l’inconscient lui-même comme document.

SW