Opsis

Opsis
Exposition d’Emmanuel Van der Meulen
du 31 octobre au 30 novembre 2019
Galerie Allen, Paris

Un monochrome gris résulte parfois de la capture d’écran de certains visionnages de films. En dehors de toute fonction évidente de copyright ou de protection de données personnelles, cet écran fantôme, double momentané de l’image cinématographique procède également à une dépossession du spectateur tout comme à l’indexation du jour et de l’heure de sa pulsion scopique.(1)

À travers l’utilisation d’un cache similaire de format carré, choisi précisément pour sa qualité de forme géométrique neutre, ni horizontale, ni verticale, rejetant toute affiliation au paysage tout comme au portrait, Emmanuel Van der Meulen met lui aussi en place un procédé de capture et de recouvrement de l’image. “Le carré ne figure qu’un centre, plus central qu’un cercle car il ne tourne pas (nous ne sommes pas tentés d’en faire le tour : la symétrie économise cet effort poétique).”(2) Cette forme potentiellement objective, éloignée du langage de la cible tout en conservant ses fonctions de viseur, de cadreur voire d’obturateur (et apparaissant notamment comme logorrhée du réseau social Instagram(3)) n’est pas sans occurrence au sein de l’histoire de l’art et de la peinture. Difficile de ne pas penser au Carré noir sur fond blanc aussi appelé Quadrangle, Quadrilatère, Carré noir (1915) de Kasimir Malevitch, mais aussi à Homage to the Square (dès 1949) de Josef Albers. Par ailleurs ce serait omettre la dimension de photogramme convoquée ici, et ceci à travers les peintures mais aussi les collages faisant référence à l’histoire(s) du cinéma d’avant-garde, d’auteur ou de la pop-culture (Roman Polanski – Répulsion, Michael Powell – Peeping-Tom (ou Le Voyeur dans sa version française), Jacques Rivette – L’amour fou, Eric Rohmer – Quatre aventures de Reinette et Mirabelle, Ridley Scott – Blade Runner, Steven Soderbergh – Sexe, Mensonges et Vidéo, Oliver Stone – Tueurs Nés, Dziga Vertov – L’homme à la caméra...). De ce fait, Opsis (ou Optic dans sa traduction anglaise) donne une tonalité inédite de son travail en proposant un dispositif stétéroscopique. D’un côté, une succession de tableaux carrés et de l’autre une nouvelle série de collages extraits de revues de cinéphiles bordées de marges blanches. Disposées face à face, ces deux modalités ou temporalités de l’image, fixe comme arrêtée, nous obligent à la découverte de l’une tout au détachement de l’autre – et inversement.

Ce système réflexif symptomatique du cinéma développé par le théoricien Raymond Bellour(4) questionne son potentiel d’identification et semble par là même prolonger l’analyse sémiologique historique de Roland Barthes : “Est-ce qu’au cinéma j’ajoute à l’image ? – Je ne crois pas ; je n’ai pas le temps : devant l’écran, je ne suis pas libre de fermer les yeux ; sinon, les rouvrant, je ne retrouverais pas la même image ; je suis astreint à une voracité continue ; une foule d’autres qualités, mais pas de pensivité ; d’où l’intérêt pour moi du photogramme. Pourtant le cinéma a un pouvoir qu’à première vue la photographie n’a pas : l’écran (a remarqué Bazin) n’est pas un cadre, mais un cache ; le personnage qui en sort continue à vivre : un “champ aveugle” double sans cesse la vision partielle.”(5)

Ainsi, ce nouveau dispositif frontal semble initier une redéfinition sémantique de l’écran composé cette fois d’une superposition de texture (liquide ou opaque) et de couleur (mate ou transparente) interrogeant notre propre capacité de résistance à l’image.

– Arlène Berceliot Courtin, Octobre 2019

1. Pulsion scopique ou scopophilie correspondant au plaisir éprouvé à regarder et au désir de posséder l’autre du regard. Cf : “Plaisir visuel et cinéma narratif”, rédigé en 1973 et publié dans la revue Screen en 1975. Manifeste fondateur des théories féministes sur le cinéma. Récemment traduit par Teresa Castro, Laura Mulvey, Au-delà du plaisir visuel. Féminisme, énigmes, cinéphile, Éditions Mimésis, Formes filmiques, 2017.
2. Correspondance emails avec l’artiste, Octobre 2019.
3. “Square format has been and always will be part of who we are”, Communiqué de presse, Instagram, 27 Août 2015.
4. Le cinéma est ici à entendre en tant que lieu et dispositif à part entière. “Seule la salle de cinéma nous offre la possibilité d’une projection en continu, d’une attention soutenue pendant une heure et demie, deux heures ou plus, avec en même temps la possibilité de mémoriser et d’oublier les images que nous voyons et de tirer de cette expérience quelque chose d’absolument unique.” Raymond Bellour, La Querelle des dispositifs. Cinéma installations, expositions, Centre d’histoire et théorie des arts, le 9 janvier 2013 (7’56’’-8’19’’).
5. La chambre claire, Note sur la photographie, Roland Barthes, page 89-90, Cahiers du cinéma, Gallimard, 1980.

Emmanuel Van der Meulen (born 1972 in Paris, France. Lives and works in Paris, France) completed his studies at l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris in 2001. He has had solo and duo exhibitions of his work at MABA, Nogent-sur-marne, France ; Galerie Allen, Paris, France ; Galeria Bianca, Palerme, Italy ; Galerie Jean Fournier, Paris, France and has been in cluded in group exhibitions at Le Quartier, Quimper, France ; La Salle de bains, Lyon, France ; Le Quadrilatère, Beauvais, France ; Galerie Praz-Delavallade, Paris, France ; Chiso Gallery, Kyoto, Japan ; Baxter Street at Camera Club of New York, USA ; Festival international d’art de Toulouse, France ; Cantieri alla Zisa / Institut Français, Palermo, Italy ; Villa Médicis, Rome, Italy ; Espace de l’art concret, Mouans-Sartoux, France ; Grand Palais, Paris, France and Bétonsalon, Paris, France.

Ses œuvres sont détenues dans de prestigieuses collections privées et publiques telles que Fonds national d’art contemporain / FNAC (2006, 2012), France et FRAC Grand Large - Hauts-de-France, France.